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Le virologue Muyembe s’alarme face au «pire» qui guette Kinshasa quand l’UNICEF s’émeut face à un «système de santé dégradé»

La ville de Kinshasa avec ses près de 15 millions d’habitants n’était toujours pas confinée mardi 31 mars malgré ses près de 100 personnes infectées du virus tueur COVID-19 avec 8 décès et trois guérisons, deuxième taux le plus élevé au monde après l’Italie et quand le virologue congolais de réputation mondiale, le professeur Jean-Jacques Muyembe Tanfum s’alarme pour la capitale annonçant «la pire semaine» que la mégapole congolaise ait jamais eue à ce jour avec un doublement voire un triplement du nombre de personnes touchées par le coronavirus.

Cela alors que les nouvelles semblent si terrifiantes pour le pays, que l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance) dans un rapport publié le 31 mars 2020 s’alarme sur un «système de santé dégradé» appelant à une «aide urgente» face à des multiples épidémies (rougeole, «la plus grave crise sanitaire au monde», choléra, qui «tuent des milliers d’enfants» congolais (5.300 enfants de moins de 5 ans décédés, 31.000 cas de choléra recensés), paludisme outre «la menace croissante de la maladie à coronavirus», une nouvelle polémique fait jour à Kinshasa : des dignitaires atteints du virus n’ont pas confiance au mécanisme officiel mis en place par l’Exécutif qui n’aurait réquisitionné aucun établissement hospitalier pour la prise en charge, ne serait doté d’aucun équipement pour la réponse (ni matériel de protection pour le personnel médical, ni médicaments, ni respirateurs, ni ambulances, etc.), que des officiels soupçonnés de porter le virus préfèrent se faire soigner à domicile par diverses méthodes.

Le rapport de l’UNICEF présenté à Kinshasa par son représentant au Congo, le Français Edouard Beigbeder, détaille un tableau qui vous glace le sang.

«Dans les centres de santé publics (congolais), les équipements, le personnel formé et les financements font gravement défaut. De nombreux établissements n’ont même pas accès à l’eau salubre et à des services d’assainissement. Les taux de couverture vaccinale qui étaient déjà faibles, ont sévèrement chuté dans certaines provinces au cours de l’année écoulée».

«Si les établissements de santé n’ont pas les moyens de fournir des services de vaccination, de nutrition et d’autres services essentiels, notamment dans les régions reculées du pays, la vie et l’avenir de nombreux enfants congolais risquent d’être meurtris ou détruits par ces maladies évitables», déclare par ailleurs le Français Edouard Beigbeder, un ancien de Bangladesh, de Haïti, de Somalie, du Kenya et du Rwanda, arrivé à Kinshasa en juin 2019 et qui accumule plus de 20 ans d’expérience dans le domaine du développement, de l’aide humanitaire et des droits de l’enfant.

«CONFINER UNE MEUTE DE CHIENS DANS UNE CAGE».

Jeudi 26 mars dernier dans la soirée, le gouverneur Gentiny Ngobila Mbaka tirant les conséquences de l'état d’urgence décrété deux jours auparavant 24 mars par le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo dans son deuxième message à la Nation faisant suite à celui du 18 mars se rapportant à la crise sanitaire planétaire, avait annoncé le bouclage de la ville à partir de samedi 28 mars 2020 pour une période de trois semaines avec cependant des jours de relâche.

A la veille du début de cette mesure, le Chef de l’Etat a fait annuler la décision du gouverneur.

Outre que dans une ville capitale, cette mesure de «couvre-feu» ne relevait pas de son ressort mais le gouverneur n’en avait informé ni aucune autorité supérieure ni le mécanisme de suivi sanitaire, ni prévu aucune mesure d’accompagnement dans une ville et un pays où la population précarisée à l’extrême, vit au jour le jour comme partout en Afrique, survit par la rue, en allant voir un parent ou en se rendant au marché quand en Occident où le confinement est une mesure culte, l’Etat redevenue providence accompagne ses concitoyens par une aide financière directe ou par différentes autres mesures de soulagement, gratuité de l’eau et de l’électricité, non-paiement d’impôts, des paquets repas offerts aux plus pauvres comme en Afrique tel au Rwanda, où des distributions porte-à-porte de nourriture sont organisées par les pouvoirs publics.

«Confiner une ville comme Kinshasa ou toute autre ville d’Afrique sans mesures de prise en charge, c’est comme enfermer une meute de chiens dans une cage, la laisser affamée pendant plusieurs jours et on sait ce qui en adviendra quand vous venez à ouvrir la porte … », analyse un diplomate.

«La cage chien doit d’ailleurs se comprendre comme une valeur ajoutée et non un enfermement du canin; on l’y accompagne d’un «au panier» ou «à ta place tout en continuant à lui donner des friandises avant de commencer à fermer la porte», poursuit ce diplomate.

En clair, s’investir afin que le chien apprécie le lieu de confinement. Cela suppose consensus.

Or, rien de tel n’avait été prévu pour la ville de Kinshasa.

Du coup, il y avait beaucoup à craindre à voir les scènes de panique observées vendredi 27 mars 2020 sur les marchés de la ville au lendemain de l’annonce du confinement.

Or, les Kinois le disent : «Si on meurt de toutes façons, autant mourir le ventre plein qu’affamé».

Dans ces conditions, comment la ville aurait-elle pu tenir sans marché ouvert, sans guichet de banque, sans eau (l’OMS et les autorités congolaises recommandent fortement le lavage permanent des mains), sans électricité, sans visiter un parent en mesure d’apporter un soulagement quelconque, ce qui aggraverait la tension sociale?

La capitale Kinshasa dont l'épicentre du COVID-19 reste depuis l’apparition du virus, sa commune résidentielle huppée, la Gombe, qui abrite palaces, banques, ambassades, administrations publiques dont les sièges de la Présidence de la République, de la Primature et des ministères, n’est plus désormais la seule partie du pays à être touchée.

Des annonces officielles ont été faites par le mécanisme de riposte et l’INRB, l’Institut National de Recherches Bio-Médicales selon lesquelles quatre autres provinces ont été frappées par le virus : Kasaï à Mbuji-Mayi, Bukavu au Sud-Kivu, Goma au Nord-Kivu, Nyakunde dans l’Ituri.

A Goma, à la frontière rwandaise, c’est un ressortissant nigérian âgé de 44 ans travaillant dans une organisation humanitaire internationale venu de Lagos via la capitale rwandaise Kigali qui a été identifié et isolé le 23 mars et dans l’Ituri, le gouverneur de province Jean Bamanisa Saïsi a fait part d’un cas de virus à 45 kms au sud de la ville de Bunia dans le territoire d’Irumu.

LES REGRETS DU VICE-PREMIER MINISTRE GILBERT KANKONDE.

Le «confinement total intermittent» décrété aurait pris effet samedi 28 mars avec relâche mardi 31 pour deux jours mercredi 1er et jeudi 2 avril en vue de permettre aux Kinois de faire des provisions avant de reprendre vendredi 3 avril pour trois jours pour un nouvel arrêt lundi 6 avril et, à nouveau, une période de confinement total de trois jours pour une nouvelle fois faire relâche.

Seuls des agents de l'Administration publique désignés pour assurer un service minimum ainsi que du personnel soignant en service seraient autorisés à circuler en vue de «se rendre au lieu de travail», avait indiqué le gouverneur qui avait déclaré que «la police veillera rigoureusement au respect de toutes ces mesures» en demandant «aux responsables de différents supermarchés de prendre des dispositions idoines afin de permettre à leurs clients un accès ordonné et sécurisé par l'observance de la distanciation sociale».

«Pendant les deux jours de ravitaillement, avait-il précisé, les mesures prises précédemment par le Président de la République et moi-même, sont de stricte application», déclarant que «la police veillera rigoureusement au respect de toutes ces mesures et à la sécurité de chaque citoyen de la Ville».

Si ces mesures de confinement inappropriées et très critiquées avaient été prises, elles auraient été non seulement un terrible défi pour les autorités et les forces de l’ordre mais plus que ça, auraient conduit à des scènes de panique, de désolation publique, d’émeutes et de pillage des magasins de vivres, d’entrepôts, de banques et des maisons de particuliers, détruisant encore plus un tissu économique déjà en lambeaux.

Dans un pays aussi pauvre, le Gouverneur Ngobila avait fait appel à «l'empathie qui devrait, selon lui, être désormais le maître mot de nos relations humaines» insistant sur «notre solidarité kinoise», exhortant Kinois, secteur privé, propriétaires des habitations de location, «à tendre une main secourable à ceux d'entre nous qui en ont le plus besoin».

Puis directement, il s’est adressé à ses concitoyens en les appelant à ne céder «ni à la panique, ni à la manipulation, ni à la désinformation» et à n'écouter «que les conseils des experts qui renseignent nos services de santé».

Un discours semblable à une somme de rêveries que n’aura nullement partagé le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo au titre de Chef de l’Etat et dans son rôle constitutionnel d’arbitre du «fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions de l’Etat » (art. 69 de la Constitution de la République»).

Près d’une semaine après les annonces du gouverneur, la ville de Kinshasa reste sans mesure de confinement - les marchés et supermarchés restent ouverts - même si rues et boulevards restent comme les jours de week-end, un confinement individuel étant observé.

Quand mardi 31 mars, le Vice-premier ministre en charge de l’Intérieur Gilbert Kankonde Malamba présente ses «regrets» aux Congolais après que ses «instructions précises, lues à la télévision nationale» dans le cadre d’un arrêté signé (n’aient pas été) «respectées» mais «violées», le représentant français de l’UNICEF invite «le gouvernement à allouer une part plus importante de son budget aux services de santé vitaux» e appelle «les donateurs internationaux à accorder une aide pluriannuelle généreuse afin de soutenir les efforts déployés par Kinshasa pour réorganiser ses services».


ALEKI MBOWO.

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